samedi 2 mars 2013

Les Tours de Monsieur PELLOS : 1932, le premier... (2)


 Dans le n° 305 de match, paru le 12 juillet 1932, Pellos publie  son premier dessin de la course : peloton groupé au départ de Paris suivi par quelques "resquilleurs" qui aimeraient bien se joindre aux "Tour de France".
Dans le numéro 306 du 19 juillet, il illustre un article de Jean Antoine, qui fut sans doute le premier des radioreporters sportifs du Tour de France !
Le ton est... littéraire : un hommage au beau pays de France. Digne de "Ma France" de Jean Ferrat ou du "Douce France" de Trénet.
Pellos apporte au texte une note légère et humoristique, un parti pris qu'il gardera tout au long de ses pérégrinations estivales autour de la France !
Des  paysages  du Tour
(Texte et dessins de nos envoyés spéciaux)
Perpignan. — Charles Pélissier, dans un article, a affirmé que les coureurs regardaient uniquement la route. Il a dit toute sa surprise de découvrir, cette année, nos belles provinces françaises. Est-ce tout à fait exact ? J'ai sou­venir d'un Hector Martin, certes vaincu, gra­vissant le Puymaurens les mains en haut du guidon et m'interpellant pour me faire admirer la sauvagerie des escarpements de l'Andorre. N'est-ce pas aussi Benoît Faure qui lors d'un Tour précédent, malgré un quarante à l'heure soutenu, montrait à Guerra la statue de Napo­léon, près de Laffrey et lui retraçait la marche sur cette route du retour de l'Empereur ? Cer­tes, n'exagérons rien, mais toutefois on peut reconnaître que les paysages du Tour ne sont pas aussi délaissés qu'on veut bien le dire. Dès que nous avons quitté Paris, nous sommes sé­duits par un spectacle permanent. Du Vésinet à Caen, la transition de l'Ile-de-France à la Normandie s'effectue sans heurt, avec une lo­gique et un équilibre parfaits. Les haies se font plus fournies au bout de cent kilomètres, les prés sont plus verts, et, devant chaque mai­son, des roses nous jettent aux narines, quand nous passons, une bouffée de parfum délicat. La route est de notre avis. Elle hésite et songe à s'attarder aux meilleurs coins. Partout des virages, des méandres onctueux et bitumés, courbes relevées sur lesquelles nos voitures se penchent comme les pommiers charnus aux branches desquels nous cherchons des yeux tant de fruits en espérance. Des troupeaux paissent tranquilles. Les flèches de la cathé­drale de Caen jaillissent dans un ciel déjà dé­blayé par le vent de mer. Sur les lèvres du citadin, un goût salé évoque la Manche proche et les plages fleuries où les Parisiens essaient —  faisant contre mauvaise fortune bon cœur —  de prendre des vacances ensoleillées.
Mais elle est déjà loin, la Normandie. Voici le chemin creux breton d'où sort un troupeau mené avec insouciance par un petit gars blond aux yeux bleus.
Les roses de Normandie ont fait place aux géraniums qui régnent ici. Les maisons sont de granit. Les toits d'ardoise luisent sous la pluie du matin. Les cheminées en pignon fument lourdement, évocatrices du café au lait et des grandes tartines de beurre salé qui sont la grande récompense des gosses qui vont à l'école ou en reviennent. La route, maintenant, peine avec les coureurs. Elle gravit sans ménagements chaque colline. Mais la Bretagne, bonne fille, leur offre, au sommet de chaque côte, un pay­sage nouveau, vaste, reposant, tout parsemé des flèches de pierre des clochers ajourés.
 Et la grande ville nous reprend. Voici Nan­tes, sa vie de port fluvial, ses quais et ses ad­mirables maisons du XVIIIe siècle. Ce n'est qu'une halte. Les pylônes du pont transbordeur nous reposent un peu de la verdure.
Excusez-nous d'aller si vite, mais on nous attend partout ; il faut nous hâter. De la Ven­dée, nous ne verrons pas grand' chose. Et com­me nous voudrions cependant nous arrêter dans chacune de ces maisons basses, aux murs cré­pis, aux toits de tuiles... déjà prometteurs du Midi si proche ! Une vigne familière festonne au-dessus de l'entrée. En la sulfatant, on a jeté sur la façade des tons verts qui chantent au soleil et s'allient aux buissons de roses pompons qui brillent de mille teintes, pourpre, rosé, blanc, jaune. Cent à l'heure. Il ne faut pas rou­ler longtemps à cette allure pour franchir la frontière du Bocage vendéen et tomber dans le Marais poitevin. Un ciel de Boudin, des va­ches de Troyoh. Ce ne sont que canaux et prairies grasses. Lorsqu'on traverse cette contrée si attirante par une route ombragée de frênes, on a, pour la première fois, l'impression d'être au-dessous du niveau de la mer. Saviez-vous que nous avions en France la Campine belge ? C'est dans le port de La Rochelle, où somnolent deux vieilles tours qui ont l'air de douaniers en retraite, que les voiles tannées des bateaux de pêche accrochent un soleil qui n'est déjà plus celui du Nord.
 Franchissons une ville romaine. Saintes, dont les toits plats en tuiles d'un rosé déteint évo­quent, pour le voyageur qui a quelque imagi­nation, les terrasses de l'Orient Et la vigne nous accueille. A l'infini, les ceps célèbres, ali­gnés sagement, sont parfois entourés de grilles lorsqu'il s'agit du vin futur qui s'en ira dormir dans les caves des milliardaires. « Le vin dissipe la tristesse », affirme un baryton dans un opéra dont on emprunta le sujet à Shakes­peare ; la vigne illumine le paysage. 
Chaque propriétaire viticulteur a sa petite maison en­tourée du plus joli jardin du monde. Aux bords de la Gironde, sur chaque coteau, on voit des gens heureux de vivre. Sur l'autre rive du fleuve, des fumées qui annoncent la ville, de lourds nuages qui font perpétuellement le cirque, vont à la mer et puis reviennent, sans jamais pouvoir se libérer de cette course inutile qu'on leur impose : c'est Bordeaux.
Ceux qui vous ont dit que les Landes étaient un pays plat n'y connaissent rien. C'est une des plus belles régions de France. La route, ici toute droite, a été tracée par des hommes dé­cidés, ceux-là même qui, en cent ans, ont fait ce pays. On vit ici dans le silence ; le pied foule un perpétuel tapis d'aiguilles de pins.
Dans chaque clairière, un homme sage a bâti sa maison. Il y vit calme, respirant l'air embaumé de senteurs balsamiques, connaisseur en bonne cuisine, paisible, puisque toute la na­ture travaille pour lui.
 J'admets que les coureurs ne puissent con­templer les admirables panoramas que nous of­frent les Pyrénées. Et l'on ne sait trop si l'on doit préférer les vertes et grasses vallées où bouillonnent des torrents peuplés de truites aux larges visions sauvages des sommets. L'Aubisque ou le Tourmalet, c'est l'immensité : cimes voilées de nuées, ou, lorsqu'elles apparaissent, encore chargées de neige. Le vent pur souffle ici, sans ménagement. Pour tout accessoire, un écriteau toujours planté de travers et qui in­dique l'altitude. Et nous sommes pris entre deux spectacles : celui que nous offre Henri Desgrange et celui de la nature. Et les petits villages de montagne succèdent aux petits vil­lages de montagne. 
Sur le passage du Tour, faisant l'union sacrée, il n'est pas rare de voir, rassemblée devant le café où l'on cause, le curé et les représentants de l'autorité. Mais inutile de songer à s'arrêter, ne fût-ce qu'un instant. Pas plus là qu'ailleurs. A Tarascon-sur-Ariège, nous allons trouver de nouvelles joies. C'est ici que notre itinéraire emprunte la vallée de l'Ariège, majestueuse et prodigue de ses eaux bondissantes. Nous allons en remonter le cours jusqu'après l'Hospitalel, le quittant pour abor­der les premières rampes du col de Puymaurens. A Bourg-Madame, le pays change brus­quement. En quelques kilomètres d'une des­cente vertigineuse, après Montlouis, nous tom­bons en Catalogne. Les maisons des villages aux clochers de fer se sont serrées les unes contre les autres pour faire de l'ombre dans la rue. La vigne met la teinte verte de ses jeu­nes pousses en accord avec la teinte rouge de la terre. Les cactus surgissent du sol et le so­leil inonde de ses rayons cette terre bénie. Les Pyrénées s'en vont mourir dans la mer. Nous avons enfin laissé le mauvais temps loin derriè­re nous ; il est accroché solidement à une bar­rière infranchissable de montagnes.
Jean Antoine.

Et toujours ce petit air des Pieds Nickelés, non ?
Dans ce même numéro de l'hebdomadaire sportif, il évoque aussi la course, ou plutôt ses à-côtés : Pellos est allé fureter du côté des hôtels des coureurs durant...      La journée de repos !
Il croise tout d'abord Julien Moineau, membre de l'équipe de France, qui se fait "malmener" par un masseur.
Pendant que certains se reposent, d'autres coureurs allemands tuent le temps en jouant aux cartes.
Manchon, le directeur sportif des Français, retire habilement un pansement du bras de Speicher.
Leducq, quant à lui, rêve, bruyamment, à son beau maillot jaune ! Son compagnon de chambrée, Marcel Bidot, en est tout retourné !
Mais le lendemain matin, il faut reprendre la route sous la houlette de Lucien Cazalis, le secrétaire général du Tour de France. De sa voix de stentor, il fait l'appel : après cela, tout le monde est bien réveillé !
Dans le numéro 307 de Match, Pellos revient illustré un article de Jean de Lascoumettes qui raconte la course du point de vue d'un chauffeur du Tour.
Hommage aux chauffeurs des torpédos de Match : Latour, Annet, Brigadino & Girard ?
Vous trouvez sûrement ça rigolo, vous, le Tour de France ? Bien sûr, si on ne l'aimait pas, on ne serait pas là. Mais, enfin, pour ce qu'on en voit... Je ne parle pas pour vous, je parle pour nous, les chauffeurs. Il faut rien avoir d'imagination et d'adresse pour entrevoir quelque chose !
Nos premiers ennemis, qu'on arrive bien vite du reste à éviter, ce sont les coureurs eux-mêmes. On leur pardonne tout. Ils ont toujours raison ; seulement, quand il faut les dépas­ser il y a toujours quelqu'un qui fait la sourde oreille. Alors, on est obligé de casser les oreilles des autres à grands coups de trompe. On est forcé de rester dans le peloton. On se fait, révérence parler, enguirlander comme du poisson pas frais. Et l’on ne pense, hélas ! qu'à une chose, ne pas bousculer un cycliste, surtout ne pas lui casser quelque chose s'il touche maladroitement votre pare-choc. Là, vous trouvez que c'est marrant ?

Ajoutez d'ailleurs que, si une chasse se produit, si tous les occupants de votre voiture se mettent à vibrer, à « gueuler », à s'emballer, et que vous vouliez passer, si vous voulez faire comme eux dame ! on est un homme ou bien vous recevez du chef de voiture une admo­nestation peu aimable, ou bien vous allez vous répandre dans le fossé. Il faut éviter l’un et l’autre.
Quant à la foule, c'est une abomination. Il faut passer au travers, la fendre comme on fait d'un fruit. Les pneus frôlent les orteils. Si l’on ne fait pas mine d'être méchant, on ne passe pas ; si on est trop méchant, et même quand on ne l'est pas du tout, on reçoit, au passage, des compliments peu flatteurs.
Et je ne parle pas des vieilles femmes qui, sans regarder, ont le désir de traverser la route au moment précis où nous arrivons. Quand on se promène pour son plaisir, on n'y fait pas attention, c'est tellement rare. Mais dans le Tour de France, il faut compter encore que les animaux sont en folie, comme les hommes. Les chiens sont les plus curieux mais les moins dangereux, même si on leur passe dessus.
Il n'en est pas de même pour les vaches. Celles-là sont plus bêtes que nature. Elles se croient très rapides : quand vous voulez doubler, les voilà qui repartent précipitamment devant votre capot, et votre moyenne tombe tout de suite à quinze à l’heure ; « Allons, vite ! » dit le rédacteur pressé. Je voudrais bien l’y voir !
Et les autres chauffeurs. Ah ! quelle plaie ! Il faut d'abord vous dire qu'il y a deux sortes de chauffeurs : d'abord le chauffeur du Tour de France. Celui-ci pilote une voiture reconnue et agréée. Tous les soirs, on lui remet un petit bout de papier qu'il collera sur son pare-brise et qui lui vaudra le lendemain la considération distinguée des gendarmes ou des agents de police.
Celui-là, qu'il soit au volant d'une huit chevaux, ou au volant d'un camion de cinq tonnes, est un vrai chauffeur, un vraiment vrai, un as. S'il lui arrive un petit accroc, ce ne doit jamais être de sa faute. Il y a toujours des causes, claires ou mystérieuses, à cet acci­dent qui ne saurait entamer sa réputation de virtuosité, qu'il ait été se jeter sur un arbre, ou dans l’arrière d'une voiture arrêtée. Tous les camarades seront de cet avis, si l’on discute le coup sur l'incident. On est des « as » et, entre « as », on se soutient.
Mais les autres, ah ! là là ! Ce sont tous des cafouilleux, des bons à rien, des apprentis. Vous me dites que l’autre jour, il y en avait un qui était, paraît-il, un grand champion, une espèce de Chiron ! Laissez-moi rire ! Vos champions, ils n'ont qu'à dire qu'ils le sont s'ils ne veulent pas qu’on les traite comme les autres. Non ! mais... vous voyez ces gens qui hésitent plusieurs moments à vous livrer la route sur laquelle vous avez des droits et sur laquelle ils n'ont que des devoirs ? Vous les voyez essayer même de vous dépasser parce qu'ils ont une très grosse voiture, qui tape le cent quarante, et vous une simple dix chevaux ? Comme si nos chignoles ne devaient pas être par définition les plus belles de toutes !
Puis alors, vous savez... conduire un photo­graphe ; c'est ça le boulot. La photo ne peut pas attendre parce que le paysage ne se présente pas à point nommé. "Passez ! Passez !" se lamente le chercheur d'images. Il n'y a pas moyen ? Il faut y aller quand même. Vous passez sur des talus, sautez des caniveaux, on dirait que tout se déglingue. Vous êtes passé, enfin, je ne sais comment. « Arrêtez ! » dit alors le photographe.
Mais on repart devant eux. Et le voilà grimpé debout sur la capote. Les coureurs arri­vent. Alors, ou bien vous attendez qu'il se soit rassis, et qu'il vous ait dit : « En avant ! » pour repartir, et alors le peloton se reforme devant vous et tout est à recommencer; ou bien vous démarrez quand vous le jugez bon, et vous précipitez le photographe au fond de la voiture, sur son derrière. Dans tous les cas, vous en prenez pour votre grade.
Et les coups de pompe !... Et on ne peut pas y échapper. Les journalistes n'ont pas assez de temps pour dormir. Tous ont un terrible déficit de sommeil. Les uns tiennent le coup parfaitement, d'autres un peu moins bien. Aussi, vers midi, s'il fait chaud, il y a des coups de pompe. Vous voyez le monsieur qui est à côté de vous essayer de lutter contre le sommeil. Vous voyez dans votre rétroviseur les passa­gers de l’arrière anéantis.
Terrible, ça ! Quelle tentation ! C'est comme si vous étiez depuis quinze jours dans le désert, mourant de soif, et qu'on vous présente un grand verre de bière bien fraîche, en vous interdisant d'y toucher. Notre petite revanche, à ce mo­ment, c'est d'accélérer si l’on est en queue, freiner si l'on est en tête, pour faire admirer sa cargaison aux camarades. Là, on rigole bien. Mais c'est toujours à ce moment que le mon­sieur se réveille.
Ah ! quelle vie ! Quand on a fait deux cents malheureux kilomètres à ce régime-là, on a l'impression d'avoir fait un interminable voyage. Les gens s'étonnent que vous soyez fatigué ou énervé : certains vont jusqu'à vous dire : « Eh bien ! mon pote, on ne s'en fait pas ! » D'abord, on n'est le « pote » de personne en dehors de ceux de la caravane, et puis si ! On s'en fait jusqu'à l’arrivée.
La récompense c'est quand le vainqueur, pour gagner le contrôle, vient s'accrocher à votre voiture dans laquelle il a jeté son bouquet et que vous allez ainsi dans la foule sous les applaudissements. Ça vous fait tout de même quelque chose. On met l’échappement libre et on prend un air de mauvaise humeur pour ne pas avoir l'air d'avoir l’air... On n'en pense pas moins.
Enfin, vous savez, ce qui nous plaît surtout, dans le Tour de France, c'est que nous allons bientôt pouvoir le raconter. Et ce sera une bien douce chose.
Jojo.
Pcc: Jean de Lascoumettes.
Le Tour 1932 est bientôt fini mais il continue dans les pages des numéros de Match du mois d'août où les principaux acteurs du grand Barnum estival racontent leurs aventures.
Ainsi pour illustrer les propos du vainqueur, André Leducq, Pellos peut-il croquer le volubile champion qui habitait à l'époque à Saint Mammès en Seine et Marne.
Leducq, colère d'avoir crevé !
Leducq satisfait de sa course.
Leducq saluant la foule en liesse du Parc des Princes, poursuivi par un photographe essoufflé (Le même qui sur un autre dessin tirait la queue d'une vache...).
Leducq acclamé par la foule (un soir dans un hôtel de province).
Le TOUR de FRANCE est une grande aventure !

2 commentaires:

  1. Début d'un grand dessinateur

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    1. Oui, le plus grand dessinateur sportif pour moi ! Et je ne parle même pas des Pieds Nickelés. Merci pour votre commentaire.

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