lundi 7 juin 2010

Bordeaux Paris encore...

Une bonne mise en condition, voici un  long article (De François Terbeen, une grande plume du vélo) paru dans le N°3 de Miroir du Cyclisme en 1960.
LA PLUS VIEILLE… LA PLUS LONGUE… LA PLUS GLORIEUSE…
BORDEAUX-PARIS ne pouvait rêver de plus beau vainqueur que celui de l'an dernier. Il était impérieusement nécessaire que le nom de Louison Bobet s'inscrivit tout en haut de cette montagne de gloire qu'est le « Derby ». Il faut remercier le prestigieux champion français d'avoir eu la volonté et le panache d'associer son nom à la plus merveilleuse histoire du cyclisme. Une histoire qui ressemble à un «western» et qui commença en 1891... L'épreuve fut organisée, la première fois, à l'intention des amateurs. Elle fut ouverte, l'année suivante, aux professionnels.

En 1895, il y eut deux courses parallèles, à six heures d'intervalle, une pour les amateurs, l'autre pour les « pros ». Ce furent les amateurs qui réalisèrent, et de loin, la meilleure moyenne. En 1902, il y eut deux courses ouvertes aux professionnels, à deux mois de distance. La seconde fut l'occasion, pour Maurice Garin, le « petit ramoneur » de battre tous les cracks de l'époque en confirmant son succès de 1901 dans Paris-Brest-Paris et d'annoncer ainsi celui qui allait être le sien dans le premier Tour de France, en 1903.

L'entraînement se fit derrière entraîneurs humains, à partir de la première édition de Bordeaux-Paris, mais en 1895, les "tandems" entrèrent dans la lice, pour laisser place aux « triplettes « et les « quadruplettes » en 1896. Ce mode d'entraînement subsista en 1897 jusqu'à Tours, et fit place aux automobiles de Tours à Paris.

En 1898, les concurrents furent « tirés » par des automobiles et par des tricycles à pétrole, en 1899 par des voitures seulement, car « l'artillerie à pédales » était devenue trop coûteuse. L'excellent stayer Constant Huret gagna en 16 heures et trente-cinq minutes, ce qui parut follement extraordinaire.

— Ce record ne sera plus jamais battu, imprima-t-on dans la presse de l'époque. Il est du reste souhaitable que cette folie ne soit pas renouvelée, car elle est trop dangereuse.

Impressionnés, les organisateurs revinrent à l'entraînement par bicyclettes de 1900 à 1910. En 1911, les entraîneurs humains n'apparurent qu'à Sainte-Maure, en 1914 à Blois, en 1919 à Orléans, en 1920 à Chatellerault, en 1928 à Orléans, en 1930 à Poitiers.

En 1931, on inaugura à Orléans l'entraînement par motos commerciales qui ne devait céder la place aux dernys qu'en 1938. Tour à tour, les motos commerciales furent prises à Tours en 1932, à Poitiers en 1933, et... au départ de Bordeaux de 1934 à 1937. C'est ainsi que le Belge Edgar de Caluwé couvrit les 578 km en 12 heures 21' 39", en 1935 (record de l'épreuve).



Mais les premiers Dernys commencèrent leur office à Sainte-Maure en 1938, à Poitiers en 1939, à Tours en 1946, et à Chatelle¬rault de 1947 à 1953. En 1954, la prise des Dernys eut lieu à Poitiers. Mais, en 1956, on décida que le système d'entraînement par Derny fonctionnerait dès le départ de Bordeaux. Cette innovation ne gêna nullement Bernard Gauthier qui remporta le « Derby » pour la troisième fois, et monta victorieusement à l'assaut de cette "Citadelle" pour la quatrième fois en 1957, année où la prise des Dernys fut fixée à Chatellerault. En 1958, « Monsieur Bordeaux-Paris » dut s'abstenir, ce qui favorisa les desseins de l'énergique Jean-Marie Cieleska qui triompha devant Cerami, le récent vainqueur de Paris-Roubaix. Et l'an dernier, ce fut Bobet... Mais notre propos est précisément de retracer ci-dessous quelques-unes des « batailles de géants » de cette incomparable épopée.



LES animateurs du Véloce-Club Bordelais furent considérés comme de dangereux utopistes lorsqu'ils annoncèrent leur intention, aux journalistes, d'organiser une épreuve qui imposerait à des cyclistes d'aller de Bordeaux à Paris à bicyclette, sans trêve ni repos. On estima que ces conspirateurs étaient des illuminés, mais les pionniers relevèrent le gant que leur jetait la presse, face à l'opinion publique qui allait être, en quelque sorte, l'arbitre d'une tentative pulvérisant les conceptions sportives les plus hardies. Nous étions alors aux prémices de la Belle Epoque... 1891 levait le rideau du progrès devant les yeux émerveillés des foules que passionnaient l'invention du moteur à explosion, et le montage, par Panhard et Levassor, d'un moteur Daimler 1 CV sur un châssis. Mais alors qu'il fallut attendre 1894 pour voir une automobile couvrir la distance de Paris à Rouen à 21 kilomètres de moyenne, les précurseurs de Bordeaux Paris gagnèrent leur bataille... en une seule journée ! On s'attendait à ce que les volontaires de Bordeaux-Paris n'atteignent le but qu'après plusieurs jours de souffrances. Peut-être même ces souffrances seraient-elles mortelles pour quelques-uns d'entre eux ? Dès Angoulême, les citadins apitoyés avaient dressé des lits de camp dans la rue, afin de permettre aux coureurs de se reposer. Des services de secours aux blessés avaient été aménagés. Mais- comble de surprise - l'Anglais C.P. Mills dédaigna jusqu'à sa musette de ravitaillement pour mieux attaquer, dans le sillage de son meilleur entraîneur, un sprinter nommé Stroud, à la sortie de la ville. Cette ruse permît à Mills de lâcher ses compatriotes Holbeîn et Edge, de même que les Français Jiel-Laval, Coulliboeuf et Guillot. On cria au miracle lorsque Mills vint à bout des 572 kilomètres en 26 heures 34' 37", sur un vélo qui devait peser près de dix-huit kilogrammes. C'était un grand triomphe à l'actif de l'école anglaise. Mais l'épreuve fut ouverte aux professionnels, dès sa seconde édition, et successivement, A. Stéphane (1892), L. Cottereau (I89Î), !.. Lesna (1894) firent mieux que Mills, en exaltant le sentiment national au cœur des Français qui se sentirent fiers de l'être grâce à Bordeaux-Paris. En 1896, pourtant, le Gallois Arthur Linton tint la dragée haute à Gaston Rivierre. Après avoir surmonté une terrible défaillance, Linton revint sur le leader français, le dépassa mais se trompa de parcours et gagna en dépit d'une chute, grâce à un « raccourci ». Sur réclamation de Rivierre. les deux hommes furent classés premiers ex-aequo. Mais Rivierre allait se tailler une large place dans l'histoire du Derby en le gagnant encore en 1897 et 1898.


La belle époque du Derby.

Le siècle s'acheva dans l'euphorie, et sous le signe d'une grande conquête : la vitesse. Adoré du peuple de Paris, le sprinter Edmond Jacquelin déplaçait des foules énormes. Ce fut du délire lorsqu'il parvint à battre le « nègre volant » Major Taylor. Il eut sa loge au Français, roula carosse au Bois de Boulogne. Pour suivre le mouvement, les organistaeurs de Bordeaux-Paris décidèrent de faire courir le derby derrière voitures automobiles, de bout en bout. Ce fut Constant Huret. stayer réputé, qui l'emporta en 16 heures 35', provoquant une explosion d'enthousiasme, mais l'expérience fut jugée trop dangereuse, et l'on revint aux entraîneurs humains, en 1900, année qui vit le joyeux Allemand, Joseph Fischer coiffer Maurice Garin sur la ligne. Ce dernier prit sa revanche en 1902, mais alors que Paris continuait à chanter sa joie de vivre dans tous les cafés-concerts, une ombre ternit le prestige du « Derby » en 1904 : les quatre premiers furent disqualifiés... pour avoir semé des clous derrière eux. En réalité, ce devait être l'oeuvre de mauvais coucheurs, mais Léon Georget dut rendre les trois mille francs-or de sa victoire au cinquième de la course, le Chatelleraudais Augereau, sous-officier d'artillerie. En 1905, il n'y eut pas de plaisanterie de ce genre, et Aucouturier fit parler sa classe en triomphant, un an avant l'affirmation du jeune Marcel Cadolle (21 ans). Hélas ! cet athlète prometteur devait être la victime d'un fatal accident dans le Tour de France 1907.

L'antagonisme très serré mais parfois comique entre le Belge Van Houwaert et le Français Trousselier, aux moustaches conquérantes, allait dominer les Bordeaux-Paris de 1907 à 1909. Celui que l'on appelait le « Lion des Flandres » gagna ce duel, par deux manches à une, mais en 1908, l'épisode décisif se joua à la sortie de Blois, en faveur de « Trou-Trou ». Pris d'un besoin pressant, Van Houwaert demanda à son rival de se montrer fair play et de bien vouloir l'attendre, tandis qu'il poserait culotte. Chevaleresque, Trousselier accepta mais fit des réserves :

« Nous n'avons guère plus de trois minutes d'avance sur nos rivaux, dît-il, en scrutant l'horizon. Je t'en accorde deux, fais vite ! ».

Il faut croire que le « Lion » eut quelques difficultés, car au bout des deux minutes, il n'avait pas encore quitté son buisson. Trousselier reprit alors la route et oncques ne le revit avant l'arrivée. Mais "le Fleuriste" trouva son maître en Emile Georget, l'année suivante. Un Emile Georget qui devait, d'ailleurs, récidiver en 1912, en écœurant jusqu'à François Faber, le gagnant de 1911. Cependant, marchant sur les traces de Cyril Van Houwaert, Louis Mottiat et Paul Deman donnèrent deux victoires consécutives à la Belgique, en 1913 et 1914. Le succès de Bordeaux-Paris allait grandissant. Un été magnifique ruisselait dans les plaines, quand soudain, ce fut le 2 août...

Le panache des Pélissier

L'ETENDARD des Pélissier flotta victorieusement sur Bordeaux-Paris et les classiques, dès la reprise, en 1919. Ardents à la lutte, fiers et ombrageux,  Henri et Francis contribuèrent, dès 1919, à un relancement fracassant de Paris-Roubaix et du « Derby », qu'Henri gagna coup sur coup. Cette année-là, Francis fut l'entraîneur de son aîné, dans Bordeaux-Paris. Leur victoire sur Louis Heusghem et Philippe Thys.

Thys fut celle de la classe et du mordant. Seul, Eugène Christophe, l'admirable et énergique "Vieux Gaulois" mérita, à un égal degré, l'engouement extraordinaire des foules, lorsqu'il gagna Bordeaux-Paris en 1920, en démontrant ses qualités de résistance sous la pluie, et encore en 1921, quelques semaines après avoir livré à Francis Pélissier le plus terrible duel de l'histoire du cyclisme, dans ce Paris-Tours de la neige qui fixa les limites du courage sportif et du courage tout court.



Les rôles furent inversés en 1922 : Henri était devenu l'un des entraîneurs de Francis, car l'aîné tenait à ce que son cadet ne soit pas éternellement dans son ombre. En deux temps, trois mouvements, le Grand  liquida tous ses adversaires, après Châtellerault. Il était le coureur-type de Bordeaux-Paris, l'homme assez fort pour émerger d'une élite. En le voyant jeter toutes ses forces dans la bataille si loin du but, Henri redouta une défaillance de son frère. Mais il s'aperçut que celui-ci tenait la grande condition. Dès ce moment, il lui laissa carte blanche. Et, à l'arrivée, Francis battait Mottiat de huit minutes, Masson de douze minutes, les autres de très loin...
Francis Pélissier a toujours fait des réserves en ce qui concerne sa défaite dans Bordeaux-Paris 1923. Maisonnas, son patron, avait décidé que les camions de livraison d'un grand magasin parisien feraient office de voitures suiveuses. C'était peut-être une excellente affaire sur le plan de la publicité, mais elle s'avéra désastreuse sur le terrain sportif. Après la prise des entraîneurs à Châtelkrault, le "Grand" creva aux environs de Blois. Comme Francis l'avait redouté, son camion n'avait pu suivre, et il dut attendre six minutes, au pied d'un arbre, un vélo de rechange. Pourtant, il rejoignit les hommes de tête, mais creva une seconde fois. Nouvelle attente du camion-fantôme, et rage décuplée quand Francis se rendit compte qu'il détenait une forme irrésistible puisqu'il rejoignit encore son plus sérieux rival, le Liégeois Emile Masson. Las ! Une troisième perçure. avant Dourdan, le rejeta à cinq minutes... Cette fois, le Parc des Princes était trop proche... Francis ne put revenir qu'à deux minutes du vainqueur, Masson.

En 1924, Francis prit sa revanche, en triomphant avec un tel panache qu'Emile Masson, bon second, vint k féliciter spontanément. Pourtant, pour franchir le Pont de Saint-Cloud, envahi par des foules énormes. Francis avait dû s'engager entre deux tramways, et se tenir en éjui libre d'un coude sur chacun.

 

Histoire d'un revenant

L'UN des épisodes les plus marquants de Bordeaux-Paris fut le come-back de Francis Pélissier, en 1930... A cette époque, le « Grand » s'était mué en gentleman farmer, à Montalet- le- Bois, après une opération de l'appendicite. Mais le démon de la compétition le tenaillait encore. Cinq ans auparavant, son frère Henri et lui avaient été les meneurs d'une grève des coureurs, en signe de protestation contre la musette-standard que voulait imposer Henri Desgrange.

Les routiers étrangers ne s'étaient pas ralliés à ce mouvement, et le crack suisse Henri Suter avait gagné Bordeaux-Paris. En 1926, les choses s'étaient arrangées, mais une chute après Biais, une ouverture de l'arcade sourcilière avaient réduits en cendres les espoirs que Francis nourrissait de gagner Bordeaux-Paris une troisième fois et il avait "raccroché". C'est pourquoi les Belges s'en étaient donné à cœur joie : Adelin Benoit en 1926, Georges Ronsse, en 1927, Hector Martin en 1928. Georges Ronsse encore en 1929 ! Voilà ce qui ne pouvait durer, aux yeux du « Grand ». Aussi, reprit-il une licence avec la ferme intention de montrer sa roue arrière à tous ces jeunes dans le Derby de 1930, qu'il courut sous les couleurs de Dilecta, dont Léon Véron était le directeur sportif très clairvoyant. Pour préparer le Derby. Francis s'était aligné dans Paris-Le Havre et Paris-Roubaix. Mais, pour tous. Patrons et coureurs des autres firmes, il était l'homme à battre, le revenant qu'il s'agissait de vaincre coûte que coûte... Henri dirigeait sa voiture suiveuse et le service d'entraîneurs qui se trouva écrasé contre le nombre des concurrents.

Car six champions belges s'accrochèrent dans le sillage de Francis qui attaqua sans arrêt. Seul, Ferdinand Le Drogo lui fut d'un utile secours, au moment décisif, car tous ses autres entraîneurs étaient à bout de souffle. Georges Ronsse, qui avait gagné déjà deux fois Bordeaux-Paris, dont le premier à 21 ans, était celui des six Belges que Francis redoutait le plus. Bien inspiré, Henri fit prendre à son frère une machine munie d'un grand développement pour le sprint, dès le haut de Picardie.. Et, tandis que Georges Ronsse et les autres Flahutes  le surveillaient du coin de l'œil, emmenés par quarante entraîneurs, le "Grand" mijotait son coup... Il s'agissait d'arriver en tête sur la piste du Parc et de sprinter sans perdre de temps à changer de vélo, comme allaient le faire tous les autres... La tactique réussit a merveille : Francis entra le premier sous le tunnel du Parc des Princes... Les clameurs de la foule frappèrent son visage, en une chaude bouffée... Mais pourquoi fallut-il qu'un officiel trop zélé bondit vers lui pour le retenir par la selle, afin de le forcer à changer de vélo? II fallut écarter l'importun, relancer la mécanique et sprinter à un contre six... La victoire, toute préparée grâce à l'astuce d'Henri, passa dans le camp adverse... Georges Ronsse réussit à battre Francis ! Certes, Ronsse était un grand champion, mais l'inégalité de valeur des entraîneurs humains avait par trop joué. L'opinion publique réclama un changement de formule.

Les inconnus de Bordeaux-Paris

LES organisateurs décidèrent, en 1931, d'utiliser, comme engins d'entraînement, des motos commerciales. Léo Véron s'adapta le mieux à cette nouvelle formule puisque son « poulain » belge Van Rysselberghe l'emporta, après une série d'incidents dont Francis Pélissier allait faire les frais, Ronsse ayant crevé après Libourne, le « Grand » avait attaqué tous coudes dehors... Si vite et si rudement qu'il arriva avec deux heures d'avance sur l'horaire à Orléans, où devait avoir lieu la prise des motos ! Celles-ci n'étaient pas prêtes, et Francis continua seul vers Paris. Mais, derrière lui, ses adversaires refaisaient le terrain concédé, dans le sillage des "commerciales" enfin trouvées... Tant et si bien que Francis, écœuré devant trop de malchance, renonça. Son adieu désespéré à la compétition se perdit dans le tumulte d'une fin de course qui vit Romain Gijssels crever trois fois et laisser la victoire à son camarade de marque Van Rysselberghe. Mais, en 1932. Gijssels eut sa revanche et apporta une nouvelle victoire à Léo Véron, pour le compte de « Dilecta ».

Les « inconnus de Bordeaux-Paris » apparurent en 1933 et 1934. Ils se nommaient Fernand Mithouard et Jean Noret. Le public ne connaissait pas leur nom, mais supérieurement drivés par Francis Pélissier, devenu entraîneur et conseiller, et par Henri Pélissier, au volant de la voiture suiveuse, le jeune professionnel Fernand Mithouard s'offrit le luxe de battre Van Rysselberghe et tous les chevronnés du Derby, en s'envolant dès la prise des entraîneurs, fixée à Poitiers. Il fallut que Francis « ressuscite » et regonfle littéralement son protégé qui voulait abandonner dans la Vallée de Chevreuse. Une terrible défaillance le saisit notamment à Buc. Mais Pélissier bondit, le remit en selle, et sa force de persuasion fut telle que Mithouard parvint à retrouver le rythme, à terminer l'affolante aventure en vainqueur, sous tes vivats délirants d'une foule électrisée. Depuis Poitiers. Francis lui avait imposé le pignon fixe et un développement énorme (24x6).

A partir de ce jour, Francis Pélissier devint  le sorcier de la route , et la façon dont il amena Jean Noret, un autre néophyte, à la victoire en 1934, confirma le public dans cette opinion que le "Grand" était un être à part, une sorte de fakir... Noret gagna avec 19 minutes d'avance sur Raymond Louviot.

En 1936, un an après la victoire-record du Belge De Caluwé, qui triompha derrière moto commerciale de bout en bout à l'ahurissante moyenne de 48 kms heure, ce fut encore un poulain  de Francis qui l'emporta : le regretté Paul Chocque, au courage merveilleux, et qui ne l'avait quitté que depuis trois semaines pouf entrer chez "Génial-Lucifer".

Plus tard, Francis Pélissier devait donner de nombreuses autres preuves de sa compétence et de son influence en amenant au succès René Berton dans le Grand Prix des Nations, et Ange Le Strat dans Bordeaux-Paris, au cours de la même saison 1948.



Visages de drame : Sommers et Caffi



BORDEAUX-PARIS 1937 faillit se terminer prématurément, faute de coureurs ! Après Orléans, Jeff Somers qui possédait près d'une demi-heure d'avance sur Thiétard, s'effondra en réclamant de l'herbe... Pleurant, gémissant. Jeff sentait qu'il devenait enragé, a force de souffrances, à force 'de manger et de vomir, de boire, de pédaler et de voir trois routes, là où il n'y en avait qu'une.

— Je veux de l'herbe, hurait-il. Je veux manger de l'herbe...

Pendant qu'il essuyait ainsi un magistral coup de pompe, Thiétard se rapprochait, revenait en trombe quand un arbre, coupé net par une voiture qui avait dérapé après Dourdan, s'abattit devant lui. Le « Père Louis » dut sauter l'obstacle, mais il tomba ensuite en traversant Saint-Cloud. Trop tard ! Il arriva au Parc... une minute seulement après Jeff Somers, qui allait récidiver... dix ans après, au cours du plus dramatique des Bordeaux-Paris.

Blond, pâle, silencieux, Jeff Somers — qui s'était classé second l’année précédente, derrière Emile Masson - fut le premier lâché, avant Sainte-Maure. Et l'on assista à un grand exploit d'Urbain Caffi, dont l'élégance du coup de pédale fit longtemps penser qu'il pédalait « dans le velours ». Bien conseillé par Mithouard, Bano Caffi semblait avoir course gagnée après Blois. La chaleur accablante avait, tour à tour, décimé dix des quinze concurrents. Hébétés, hurlant de soif, ils s'affalaient sur les bas-côtés, les uns après les autres... Le Belge Dolf Verschueren, drivé par Georges Ronsse, dut céder la première place à Caffi, pour avoir trop bu. Et « Bano », lui, résistait ! Mieux, il arrachait des cris d'admiration aux suiveurs, tant son coup de pédale restait harmonieux. Mais soudain, il se mit à zigzaguer... A plusieurs reprises, ses soigneurs durent se précipiter pour lui redonner souffle et moral mais en arrivant sur Dourdan, Caffi était « mort »...

- Le malheureux ! Il n'en peut plus ! Quel courage... On dirait qu'il va tomber !

L'immense foule était partagée entre ta joie de voir surgir en tête le maillot bleu de Caffi, brillant comme un ciel d'espérance, et la crainte de le voir s'effondrer. Soudain, dans Chevreuse, le poulain d'Alcyon tomba. Il était exténué, et il bascula de nouveau sur le macadam, la face grimaçante de douleur, à mi-hauteur de la côte de Saint-Rémy...

A ce moment, un coup de sifflet surmonta les cris exaltés de ta foule : les entraîneurs de Somers annonçaient le foudroyant retour de leur coureur. Et en effet on vit surgir le livide Somers. Il « avala » littéralement Châteaufort et plongea sur le Parc, en grand triomphateur. Sortant de tous les traquenards, le Belge de « Rochet » avait puisé dans son fanatisme pour « la plus belle » le ressort suffisant pour réussir là où tous les cracks de l'époque avaient abandonné. A l'arrivée, 13'47" le séparaient du second, son camarade de marque Dubuisson, alors que tous deux avaient compté 23' de retard à dix kilomètres d'Orléans, (fait extraordinaire : il n'y eut que trois arrivants, car loin derrière, mais finissant quand même, le Tourangeau Lévêque, également de l'écurie Rochet, apporta à Marcel Venineaux la suprême joie de réaliser le plus beau  tiercé de toute l'histoire du cyclisme.



De tous les Lions du Derby B. Gauthier fut le plus autoritaire
LES deux succès de Marcel Laurent, en 1938 et 1939, furent ceux de la tranquille puissance, de la maîtrise de soi, alliées à une telle santé que sans la guerre, l'athlétique poulain du regretté Ludovic Feuillet aurait sans doute égalé les « triplés » de Gaston Rivierre et de Georges Ronsse. Peut-être même serait-il aujourd'hui recordman du nombre de victoires, à égalité avec Bernard Gauthier, seul coureur ayant gagné quatre fois le Derby !

Son « doublé » réussi au détriment du Belge Walschott, rappelle en tous points celui du dominateur hollandais Wim Van Est, qui triompha en 1950 et 1952.



Observé dans l'effort, Wim avait le regard inquiet et fixe d'un fauve, mais battant Masson la première fois et ensuite Maurice Diot (qui s'écroula en larmes, après l'arrivée), il termina toujours dans un état de fraîcheur extraordinaire.

Il fallut la fougue du « pur-sang » Ferdi Kubler pour venir à bout, en 1953, de cette force de la nature.
 Mais le grand champion de Bordeaux-Paris fut bien Bernard Gauthier, qui, dans le sillage du Maître-entraîneur Ugo Lorenzetti, sut construire quatre triomphes qui constituent l'un des plus beaux « monuments » du cyclisme. D'ailleurs, Bernard Gauthier a toujours été le « K.ubler français • de ta route. Sa façon de se battre, à cceur ouvert, est bien celle qui a fait entrer Ferdi, tout vif. dans la légende. Tous deux ont été des « lions », mais la nuance est que Bernard a tout sacrifié à Bordeaux-Paris, alors que Kubler ne vint y régner qu'une seule fois.

Tour à tour, Bernard a pris le meilleur sur des champions comme Van Est, Diot, Oclters, Debruyne, Impanis, Van Stecnbergen, J. Dupont, F. Mahé, Bouvet, A. Darrigade, Cérami, cités parmi toute une éliie... Toujours, Bernard donna un spectacle formidable. Entre les haies que formaient de chaque côté de la route, des centaines de milliers de spectateurs, un géant de l'effort fonça à quatre reprises : c'était lui, Bernard Gauthier, surnommé  "Monsieur Bordeaux-Paris" et qui, le dos arqué dans une frémissante voussure, a laissé au public immense du Derby le souvenir d'un coureur de flamme.

Ses triomphes, il les a dû en partie, bien sûr, à la clairvoyance, à la maîtrise de son entraîneur. Ugo Lorenzetti, qui a été et reste « le magicien de Bordeaux-Paris », puisqu'il amena à la victoire, en 1949, le regretté Moujica, aux dons athlétiques peut-être sans équivalent, avant de conduire Bernard quatre fois au succès et piloter. L'an dernier enfin, le prestigieux Louison Bobet sous les arcs d'un glorieux couronnement. (...)



François TERBEEN.

L'HISTOIRE de Bordeaux-Paris contient tous les drames, toutes les  beautés sportives et jusqu'au fait d'avoir couronné, à 23 ans d'intervalle, le père et le fils, puisque le Liégeois Emile Manon triompha en 1923, et que son fils de même prénom (aujourd'hui journaliste et également vainqueur de Paris-Roubaix en 1939) l'emporta en 1946.

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